꧁ Les z'Idées Reçues ꧂
si on questionnait notre vocabulaire ?
« C'est un chien réactif »
La question de l'étiquette collée sur les chiens réactifs est un sujet que je souhaite aborder depuis déjà pas mal de temps, sans trouver l'approche, le bon angle.
De récents évènements dans ma vie, à commencer par les comportements explosifs de ma petite Ërya, traumatisée par de multiples agressions de chiens, mais également des discussions avec différents amis rencontrant des problématiques de réactivité avec leurs chiens, et la manière dont le sujet est abordé sur les réseaux et traité par les éducateurs canins m'ont poussée à rédiger cet article.
Et je vais commencer par digresser du sujet pour parler d'une de mes élèves.
Dans la vie, je suis enseignante (l'élevage est mon gouffre financier, pour pouvoir le financer et nourrir mes bébés, et pouvoir offrir, à perte, des petits chiots merveilleux que j'aime de tout mon coeur à mes adoptants, il faut bien que je travaille, et mon travail, c'est l'enseignement). Je vois les élèves une heure par semaine, c'est peu, mais suffisant pour voir des choses se mettre en place.
Cela faisait trois ans que je faisais cours à cette classe de 4èmes, dans cette classe, une adolescente prénommée Lucie (j'en ai changé le prénom pour des raisons évidentes de confidentialité), très discrète depuis la sixième, Lucie est une jeune fille sans histoires, qui aime lire, studieuse. Sa moyenne générale en sixième est très haute, elle est parmi les meilleures élèves de sa classe, elle est accompagnée par des parents aimants, tout va bien. En cinquième, les résultats de Lucie sont toujours élevés, elle est studieuse, elle a des copines, pas beaucoup mais peu importe, elles forment un petit groupe. Avec une heure par semaine, je n'ai pas le temps de suivre les relations entre les élèves et donc je ne suis pas très au fait de l'évolution des amitiés dans les classes, je vois le travail des élèves, leur comportement en classe.
Nous arrivons donc en classe de quatrième, fin du premier trimestre. Les travaux que me rend Lucie sont moins aboutis, elle n'a quasiment pas touché à son matériel sur l'une des productions. Conseil de classe, les professeurs inquiets de la baisse significative des résultats de Lucie en classe, dans toutes les disciplines, les résultats de Lucie chutent. Je suis donc plus vigilante, Lucie semble toujours être cette élève sans histoires, discrète, mais elle est éteinte. En classe, lors d'une verbalisation, un élève fait une blague, toute la classe rit, je ne saisis pas le sens de la blague, aucun élève ne me l'expliquera mais je vois Lucie se fermer encore plus, elle ne rit pas du tout. Je fais un signalement à l'équipe Phare, anti harcèlement, que mes collègues prennent. Les semaines passent, encore une petite blague pas drôle, et Lucie éclate de colère. Elle hurle en classe, explose de rage. A présent, la petite fille calme est une furie. Les cours défilent ainsi, souvent Lucie est calme, parfois elle explose de colère. Des rapports d'incidents s'accumulent, Lucie a frappé untel, Lucie a agressé tel autre. La vie scolaire n'en peut plus, Lucie est punie pour ses comportements, je continue de pointer le fait que quelque chose ne va pas chez Lucie, et qu'il serait bon de creuser les raisons. Pas le temps. Il est vrai que dans tous les établissements, avec l'augmentation des tâches et la diminution des effectifs notamment en vie scolaire, il est compliqué pour tout le monde de tout gérer. Néanmoins, la réponse d'une surveillante "oui mais elle cherche aussi à la fin" ne me satisfait pas, Je démarre un nouveau sujet qui porte sur la réalisation d'une histoire racontée de manière séquentielle, "quelque chose d'incroyable m'est arrivé, racontez le plastiquement" Lucie me rend une BD très sombre, le sujet est lugubre, les images sombres. Lucie a tout donné, sa BD est édifiante, le personnage principal vit entre deux familles, se fait maltraiter par ses beaux-parents, à l'école le personnage principal se fait insulter, le soir le personnage voit son nom avec des moqueries sur les réseaux sociaux. La bande dessinée se termine sur le suicide du personnage principal.
Ce jour là, Lucie a encore une fois frappé un élève. J'ai photocopié la bande dessinée, j'ai partagé celle ci à toute l'équipe péda, la cellule phare avait de son côté également étudié la situation et un protocole dont je n'avais pas connaissance était parallèlement en train de se mettre en place. Les parents de Lucie s'étaient séparés, la nouvelle vie de Lucie était compliquée, ses relations avec ses beaux-parents était catastrophique. Sous pression à la maison, à l'école elle se montrait moins facile avec ses camarades, qui ont fini par lui tourner le dos. Seule dans la cour, certains ont commencé à se moquer d'elle, ce qu'elle a encaissé, encaissé, encaissé, jusqu'à exploser, jusqu'à frapper. Frapper les autres lui permettant des temps de répit, elle a frappé à nouveau quand les moqueries devenaient trop invivables.
De cette vie sécurisante avec des parents aimants à ses côtés, Lucie a vécu le divorce, l'adolescence qui est toujours une période compliquée, et sans cette sécurité qu'elle aurait méritée. Cadre de vie insécurisant, vie compliquée à la maison, vie compliquée à l'école, Lucie est devenue "réactive".
La solution apportée pendant des semaines par les adultes qui ne voyaient pas a été de punir les comportements pour essayer de les faire disparaître, sans chercher à en comprendre la cause.
Punir les comportements, travailler sur eux, c'est ce qui est le plus souvent mis en place pour travailler la réactivité chez le chien. On expose le chien à son déclencheur, inlassablement, ou bien en ajoutant une saccade par exemple quand le chien réagit, ou bien en attendant que le comportement disparaisse par épuisement. On va venir exposer, tous les jours, le chien à ses déclencheurs, et on va attendre de lui qu'il parvienne à dépasser son émotion pour, par exemple, s'assoir quand il aurait tendance à charger.
Le chien apprend à présenter un autre comportement, parfois ça fonctionne, mais a-t-on travaillé sur la cause ?
Pour en revenir au sujet initial, on va donc coller sur le chien débordé par ses émotions une étiquette de "chien réactif". Mais n'importe quel individu peut devenir réactif, s'il est confronté à ces émotions là.
Si l'individu est plus émotif, avec des émotions très fortes, qu'il n'arrive pas à gérer, il pourra plus facilement être confronté à des émotions explosives qui vont le dépasser, et se mettre à aboyer tout crocs dehors, ou charger en silence dans l'objectif de faire fuir son déclencheur. Si, en plus de cela, le sujet débordé par ses émotions se voit confronté quotidiennement à son déclencheur, toujours mis en zone orange ou rouge, comme c'est le cas de Lucie, il finira par systématiquement exploser.
Il y a quelques mois, une demoiselle ayant un berger australien réactif congénères et humains m'a contactée dans le but d'adopter un chiot. De fil en aiguille, nous en sommes venues à parler de son chien et de sa réactivité, ce qui a amené le sujet sur les différents professionnels qu'elle avait vu pour travailler la réactivité de son chien. Parmi eux, une comportementaliste sur la côte lui avait proposé des séances durant lesquelles elle travaillait à distance, hors de la zone de confort de l'aussie. Au bout de quelques séances, la jeune femme a décidé de cesser les cours avec cette professionnelle, prétendant qu'elle "avait peur de son chien" et qu'elle "n'arriverait à rien avec ses méthodes". Ça n'allait surtout pas assez vite pour elle. Elle s'est tournée vers un autre éducateur canin, qui a muselé son aussie, qui l'a fait venir à des cours collectifs avec des dizaines de chiens, qui l'a emmené marcher en centre ville. Le comportement a disparu dans certains contextes. La propriétaire était satisfaite.
Le chien et son émotionnel n'ont pas changé. Il lui arrive toujours d'exploser, quand cela arrive, beaucoup plus fort qu'au démarrage du travail. Il peut encore mordre des humains, attaquer des chiens, je n'en ai plus de nouvelles aujourd'hui. Je sais qu'elle continue de promouvoir les méthode du deuxième éducateur qui a satisfait les attentes de l'humain tout en dénigrant la première qui aurait obtenu un résultat plus durable en tâchant de travailler sur l'émotion du chien en le respectant dans ses besoins de sécurité. Mais ces méthodes là prennent du temps, et l'humain veut souvent aller vite.
Le chien réactif n'existe pas. Ce qu'on appelle un chien réactif est un chien émotif dont les besoins de sécurité ne sont pas comblés faute de connaissances souvent difficiles à obtenir pour les gardiens, faute d'un biotope adapté à ses besoins, parfois traumatisé, souvent incompris et immergé dans un environnement d'humain, trop souvent confronté à ses déclencheurs, ce qui ne lui permet pas de s'apaiser.
Cette réflexion personnelle m'a permis d'avancer émotionnellement devant le gouffre qui se présentait devant moi. Devant la multitude de questions qui s'empilaient devant moi comme une montagne infranchissable "qu'est ce que j'ai mal fait ?" "Comment revenir au bébé joyeux qu'elle était avant ?".
Ërya n'est pas "une chienne réactive", c'est une chienne traumatisée. Et je vais l'accompagner pour tâcher de lui apprendre à voir la vie de manière optimiste, comme elle le faisait autrefois.
Petit pas après petit pas, étape par étape.
Si vous souhaitez en apprendre plus sur la réactivité et sur l'approche émotionnelle (plutôt que de se concentrer sur l'approche comportementale uniquement), je vous recommande fortement de prendre le Webinaire traduit par Benjamin CynRgie "Redéfinir la Réactivité" par Andrew Hale, psychologue clinicien et comportementaliste canin.
Je vous recommande également le webinaire sur la réactivité de Jérémy Serindat : "Webinaire réactivité chien/chien vers d'autres outils de réhabilitation".
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