« Ce chien est magnifique, point barre ! On s'en fiche des tests de santé !
Ce n'est pas parce que vous les faîtes que vos chiens ne tomberont jamais malades, vous êtes juste jaloux ! »
Ce discours a été tenu sur un groupe de discussion de passionnés de chiens AS et cela m'a posé question sur le raisonnement établi par la personne, qui vient en raisonnance avec un discours que j'entends régulièrement en ce moment, et qui renvoie à un questionnement plus global sur notre façon de consommer actuelle.
Vaut-il finalement mieux un chien qui soit beau, qu'importe sa santé ?
Il faut l'admettre, devoir se plier aux règles des tests de santé et de l'évitement de la consanguinité est une contrainte lorsque l'on se lance dans l'élevage canin, quelle que soit la race que l'on souhaite élever. Cela impose de faire tester les chiens sur les différentes maladies génétiques, de les faire radiographier, de chercher un étalon qui convienne à nos critères de sélection (morphologie, caractère, aptitudes au travail, patrons moteurs...) et qui soit médicalement compatible : si notre chienne est porteuse de myélopathie dégénérative, de nanisme hypophysaire ou de sensibilité médicamenteuse, il lui faudra un chien sain. Si notre chienne est notée B ou C aux hanches, il faut trouver un étalon qui soit A.
En ne faisant pas ces tests, quelque part, on se libère l'esprit de beaucoup de contraintes, on regarde alors juste l'aspect physique des chiens et on obtient beaucoup plus facilement les caractéristiques recherchées.
Par ce biais, on devient particulièrement compétitif, et nos chiots se vendent à un prix défiant toute concurrence ! C'est ainsi que l'on voit pleuvoir actuellement de nombreuses annonces de chiots Altdeutsche à vendre pas cher sur les sites de petites annonces comme le bon coin, à des prix incroyablement attractifs : 600€ à 800€ pour un chiot généralement vendu autour de 1300 €, ça fait rêver !
Lorsque l'on pose des questions sur les origines des chiots, les naisseurs sont souvent évasifs, ils vous promettent de vous les présenter lorsque vous viendrez chercher votre chiot, et une fois sur place, ils vous collent le chiot dans les bras en comptant sur son potentiel craquant pour vous endormir l'esprit et vous faire rédiger le chèque (payable en trois fois sans frais, vous ne trouverez pas ça ailleurs !). La vérité c'est que les origines des chiots sont souvent inconnues, parfois on vous colle dans les bras des croisés, parfois les parents sont frères et soeurs ou cousins... et comme on n'a pas de papiers on n'en sait rien du tout.
Pourtant beaucoup de personnes sont parfaitement au courant des risques encourus à acheter son chiot dans ce type de situation :
La consanguinité, qui plus est sans tests de santé, accroît le risque de développer une maladie génétique pour le chiot, qu'elle soit couramment testée ou non.
Souvent, il est impossible de savoir pour l'adoptant si la socialisation du chiot a été faite dans les règles ou d'avoir de véritables informations transparentes sur l'environnement, l'alimentation, les liens avec d'autres chiens (et/ou autres animaux domestiques) et les apprentissages des petits lors de leurs premières semaines de vie. Peuvent en découler des problèmes de comportement qu'il faudra régler.
Parfois même, les chiots ne sont pas nés chez la personne, qui les a peut être importés d'une ferme élevage française ou étrangère bien avant l'age légal de séparation de la portée avec la mère, et ici aussi les risques qu'un problème de comportement se développe chez le chiot sont élevés.
Alors, me demanderez-vous, pourquoi ça marche ?
Pourquoi les gens préfèrent aller acheter leur chiot dans ces conditions plutôt que chez un éleveur, ou un particulier formé qui fait les choses dans les règles ? Je pense intimement que c'est la même raison qui les pousse à jouer au loto : c'est peu cher, et il est possible d'y gagner 400€.
En effet, et c'est l'argument avancé par la plupart des producteurs de chiens sans pedigree ni tests de santé (oui parce qu'il y a des particuliers qui font les tests de santé à leurs chiens sans pedigree dans le but de faire de la reproduction), si rien ne nous garantit que le chiot sera en bonne santé, rien, à première vue, ne nous dit que le chien développera un jour une maladie. S'il est en bonne santé, non porteur de MD, non dysplasique, on a quand même économisé entre 400 et 1000 € ! Eh ouais ça vaut le coup ! D'autant que parfois ces chiots pas chers sont des bleus, et les bleus ça coûte encore plus cher à l'achat ! Enfin pas partout vous dirai-je, mais c'est un autre sujet...
Beh oui mais ça fait beaucoup de "si" votre histoire, et malheureusement lorsque l'on creuse un minimum, on se rend très souvent compte que, lorsque l'on a le pedigree des parents mais qu'ils ne sont simplement ni testés, ni confirmés, les mariages sont faits entre deux chiens potentiellement porteurs de MD. Une chance sur deux pour chaque parent, ça fait quand même un risque pour la portée... 25% me répondrez-vous. Oui, en effet, 25% de chance pour chaque chiot de déclencher la myélopathie dégénérative, 25% de chance qu'ils doivent être euthanasiés. Un simple test aurait permis d'éviter cela... Mais un test par parent ça coûte cher... 75€ par chien, soit 150€. C'est toujours moins cher que le chariot à roulettes que vous lui achèterez quand il ne saura plus se lever, que les kilos de sopalin que vous utiliserez à nettoyer ses excréments quand il ne pourra plus se retenir, toujours moins cher que le coût des soins pour les escarres qu'il se fera à force de se traîner sur le sol... A bien y réfléchir les 400 € que vous aviez économisé ils ne feront peut être que doubler, avec un peu de chance.
Vous me direz peut être que si vous avez de la chance il ne déclenchera pas de Myélopathie dégénérative, et je vous
répondrai "quid de la dysplasie de la hanche ?" qui touche même des chiens issus de parents testés. Les différentes études réalisées
jusqu'ici démontrent qu'un chiot issu de deux chiens dysplasiques a deux fois plus de chances* d'être atteint de la malformation qu'un chien issu de deux parents sains. Pour un chiot
dysplasique, il y a également des frais à envisager, outre les chondroprotecteurs, l'ostéopathie régulière (que je recommande pour tous les chiens, dysplasiques ou non), les anti inflammatoires
destinés à soulager l'arthrose, il y a le coût pour chacune des deux opérations de prothèse de hanche qu'il sera nécessaire de réaliser séparément pour des raisons évidentes de motricité et de
récupération de l'animal : ce dernier devra se coucher sur le côté opposé à celui de l'opération et aura des difficultés à se déplacer pendant quelques temps. Ces frais s'élèveront bien au delà
des 400€ que vous aurez économisé sur l'achat de départ.
Il est vrai, un chiot dans un élevage coûte plus cher qu'un chiot acheté chez un particulier ou dans une usine à chien qui pratique sans tests comme celles évoquées ci-dessus. Si le prix des chiots dans les bons élevages est en quelque sorte une forme de "gage de qualité" et se justifie par le travail de sélection, de socialisation et le coût des tests de santé réalisés, il rebute certaines personnes, qui prendront le risque énoncé ci-dessus en connaissance de cause...
Faut-il s'alarmer de cette situation ?
Il y a quelques temps, je vous aurais sans hésiter répondu "oui", il faut s'en alarmer... ce type d'élevages est un danger pour la race, on court à la catastrophe, cela va apporter tout un tas de soucis de comportement chez l'Altdeutsche... ou pas. Après tout, ces gens travaillent avec des chiens sans pedigree et pour être confirmés en tant qu'altdeutsche schäferhunde, tout chien sans pedigree passera par les phases du titre initial, qui est suffisamment stricte pour protéger la race de l'entrée de soucis de santé ou de comportement rédhibitoires... Sans cette démarche complexe, les chiens en questions seront, au titre de n'importe quel autre chien sans pedigree, considéré comme un type altdeutsche.
J'ajouterai que le système de consommation actuel n'a pas attendu la sélection de l'AS pour fonctionner de cette manière. A l'ère des combats de grande surface pour des pots de pâte à tartiner en promotion, je m'étonne d'être encore contrariée de voir que certains se comportent avec leurs chiens comme ils le feraient avec leur machine à laver :
On achète le modèle le moins cher, en sachant qu'il durera peut être moins longtemps, en se disant qu'une fois qu'il ne sera plus fonctionnel, on pourra acheter la nouvelle variété à la mode...
Les chiens sont, hélas, toujours considérés par la majorité dominante comme un bien de consommation (il suffit d'aller en animalerie pour en découvrir derrière des vitres, exposés dans des espaces décorés pour allécher le curieux consommateur et titiller sa corde sensible...) et comme tout bien de consommation, il y a ceux qui sont nés dans l'amour et la passion, entourés de respect, et il y a ceux qui sortent de l'usine...
Tant que l'on aura des usines à chiens, des animaleries vendeuses d'animaux, des émissions de télévision diffusant sur de grandes chaînes privées des salons du chiot où des chiots élevés dans des caves sont vendus sans trop de questions au premier passant venu, on aura des gens qui viendront râler parce que l'on trouve dommage que les maîtres des parents n'aient pas juste fait tester leurs chiens avant de les laisser se reproduire et qui viendront nous saisir d'un "Qu'importe qu'il soit malade, tant qu'il est beau !" bien placé au creux des côtes.
* Sources :
- Revue Méd. Vét., 2003, 154, 2, 121-126, J.P. GENEVOIS, D. REMY , G. CHANOIT, C. CAROZZO, F. ECKERT et D. FAU, Dysplasie coxo-fémorale : comparaison, sur un échantillon de 43 chiens d’assistance [...]
- VetAgro Sup, Pr J.P GENEVOIS, La dysplasie coxo-fémorale, maladie héréditaire ?
Écrire commentaire
BOYER Mathilde (mercredi, 31 janvier 2018 23:45)
Merci pour cet article ! En effet, quelqu'en soit la race, cette question de dépistage pose parfois réellement souci. Et la justification du prix d'un chiot chez un bon élevage ne découle pas uniquement du bon dépistage des parents mais comme vous le précisez si bien, les gens souhaite du pas cher, qu'importe la maladie. Le chien est encore et toujours (à mon grand regret) du consommable dans les esprits de (beaucoup) trop de personne. Un euthanasie (en tout cas ici, dans le Rhône) c'est 80€ environ + incinération en commun (environ 50€) .... les gens qui ont cette réflexion du beau et pas du bon ne paieront jamais de tels soins .... Le chiens sera sans nul doute piqué et ils rachèteront sur ce type de mariage (consanguinité et maladie quasi assurée), difficile à combattre malheureusement
Philippe AUDOUIN (jeudi, 01 mars 2018 19:00)
Merci pour cet article malheureusement pertinent...
Philippe
''gardien'' d'un Chien de berger anglais ancestral nommé Lasco (L'Atout Coeur Of Reality Dream) ''trouvé'' un jour de grâce chez un ami éleveur et, qui aujourd'hui encore, ''lorgne'' vers vos bergers AS via http://www.ucfas.fr/ à cause, en autre, d'un rêve de gosse quelque part à proximité de Baden Baden au milieu des années 70.